Une route vers nulle part

Notre espèce n’est pas prête à faire face à la destruction de notre environnement

Le dérèglement climatique ainsi que la destruction de l’environnement naturel, pris comme un ensemble de problèmes à résoudre, présente des caractéristiques qui le rendent inédit dans l’histoire de l’humanité. Quelques aient été les défis auxquels ont dû faire face nos prédécesseurs, aucun n’est comparable à celui du dérèglement climatique.
Il est intéressant d’en regarder les spécificités pour comprendre les difficultés que nous rencontrons à y faire face et notre échec probable dans cette entreprise.

Dans cet article nous aborderons trois conséquences du caractère global du changement climatique, qui nous semblent incontournables pour la bonne compréhension de la problématique. La première tient au fait que le changement climatique est un fait scientifique qui affecte toute la planète mais qui n’est pas ressenti de la même manière partout. La deuxième spécificité tient à la remise en question difficile de notre modèle de croissance. Le dernier aspect pose la question de l’inadéquation de nos structures organisationnelles pour faire face à un tel enjeu.

I – Du mal à y croire ?

Bien que l’on parle de « réchauffement » climatique, en faisant référence à la température extérieure, la majorité des effets du dérèglement climatique échappe à notre perception sensorielle [1]. Ceci bien sûr jusqu’à ce qu’adviennent des catastrophes sensibles (sécheresses, pluies diluviennes, famines etc…) qui nous frappent, mais là encore, il est difficile de savoir ce qui relève réellement du phénomène [2]. En effet, le dérèglement du climat s’observe via des mesures et des modifications d’indicateurs impossibles à déceler pour un être humain sans l’aide de la science. En fait, dans un monde où nous aurions eu le même comportement écocide mais sans connaissances scientifiques avancées (faites travailler l’imagination), il est probable que nous n’aurions eu aucune idée de la catastrophe imminente.

Infographie de l’observatoire national sur les effets du réchauffement climatique

Une conséquence du caractère global du problème, c’est que le phénomène n’est pas ressenti partout avec la même intensité. Cela tient à des questions géographiques, avec un déploiement varié des conséquences du changement climatique, mais aussi à ce que ces conséquences ne sont pas vécues de la même manière en fonction des moyens dont disposent les populations pour y faire face (climatisation, irrigation, aménagements anti-inondation etc…). On comprend facilement, en regardant l’effet le plus observé du changement climatique, qu’un pays qui ne dispose pas d’un système de climatisation souffre plus de l’augmentation de la température qu’un pays qui en dispose. La perception du phénomène est donc très différente d’un pays à l’autre. D’une région à l’autre même ! En témoignent les nombreux témoignages contradictoires recueillis en France sur le sujet, que vous n’avez pas manqué d’entendre, puisqu’ils font office d’expertise climatique dans les rares programmes s’intéressant à l’environnement sur nos très sérieux médias [3].
Cette différence de perception est problématique car elle pose une difficulté à s’entendre sur les constats du problème et donc une difficulté à agir de concert. En effet, puisqu’il est difficile de savoir où nous en sommes dans le processus, nous devons nécessairement faire confiance à un avis extérieur, qu’on s’obstine à nous présenter comme divisé et ambigu.
Nous vous laissons parcourir le rapport United in Science [4], rendu par l’Organisation Météorologique Mondiale (WMO) en fin d’année 2019, afin d’apprécier les ambiguïtés laissées sur le sujet par l’opinion « divisée » des chercheurs. De manière très synthétique (28 pages), le rapport résume l’état de la planète et les perspectives de dérèglement climatique, tout en mettant en avant l’évolution des indicateurs observés sur la fin du siècle. Ce rapport prend en compte les travaux de la WMO mais également, les rapports spéciaux du GIEC, sortis en 2019, ainsi que les travaux du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, du Global Carbon Project, des groupes de recherche Future Earth et Earth League et du Global Framework for Climate Services. Il est difficile de trouver un document plus synthétique sur l’état de la connaissance scientifique en 2020, concernant le climat et l’environnement. Nous vous invitons donc à en prendre connaissance ou à nous croire sur parole quand nous vous disons :

Les scientifiques sont unanimes ! Ça chauffe, c’est rapide, c’est d’origine humaine et les conséquences négatives sont bien supérieures aux quelques avantages que cela implique.

II – La nécessité de décroître

Une spécificité du dérèglement climatique est que la solution du problème réside, pour partie dans la réduction des activités humaines. Par « activité », j’entends la quantité de transformations matérielles que nous faisons subir à ce qui nous entoure. Cela implique donc une réduction de l’apport énergétique que nous injectons dans notre système [5], et par conséquent une réduction de la mobilité, une réduction de la disponibilité des denrées… bref, une réduction globale de l’abondance qui caractérise nos modes de vie, et ce pour une durée indéterminée…mais sûrement très longue. Ce dernier point est capital pour comprendre la nature du changement qui est en train de s’opérer. Nous ne sommes pas dans le cas où, face à une limite que nous impose notre environnement, nous avons la possibilité de faire comme les communautés humaines avant nous : nous étendre géographiquement, par la colonisation de terres ou la guerre ; transformer pour optimiser notre environnement ; commercer pour pallier au carences du milieu etc…. Toutes ces méthodes sont inadéquates lorsque le problème du milieu est planétaire. Lorsque on touche aux limites de la planète entière, qui est un système fermé, il est impossible de s’étendre plus ou de compter sur une aide extérieure [6].

Tout au plus pouvons-nous nous appuyer sur notre capacité à transformer notre environnement pour optimiser nos bénéfices par rapport à notre impact. C’est d’ailleurs le levier qui est le plus mis en avant dans ce qu’on nous présente comme la lutte contre le dérèglement climatique : la science va trouver une solution qui va nous sauver ! …Sauf que la « science » a déjà bouclé la question : Pas de croissance infinie dans un monde aux ressources finies [7]. Certes rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme [8], mais le principe d’entropie s’oppose à ce qu’il soit possible de remobiliser les ressources naturelles que nous avons exploité, dénaturé et éparpillé sans un colossale apport énergétique [9] (c’est la métaphore du tube de dentifrice qu’il est facile de vider mais très dur de remplir à nouveau). Par ailleurs nous ne disposons pas d’une telle quantité d’énergie. La seule source qui pourrait en fournir une telle quantité sur notre planète, en l’état de nos connaissances, serait la fusion nucléaire, mais nous sommes, quoiqu’on en dise, loin d’être capable de l’exploiter [10].

Fosse d’assemblage d’ITER, centre international de recherche sur la fusion nucléaire.

Bref, impossible de conserver une dynamique de croissance sans que la dépense énergétique de l’humanité continue de croitre exponentiellement, ce qui suppose en l’état actuel de la science de conserver les énergies fossiles dans le mix énergétique, et en conséquence d’augmenter les effets du dérèglement climatique. Nous passons volontairement vite sur le cheminement pour en arriver rapidement à notre propos : Contrairement aux humains qui nous ont précédé, nous nous dirigeons vers un scénario de décroissance « pérenne » où l’activité ne devra plus être comparable en intensité à celle observée au début de ce siècle. Cela fait une différence majeure avec les générations qui nous ont précédés. En nous heurtant aux limites de la planète, nous touchons du doigt la question du sens de notre existence. La Terre est-elle devenue trop petite pour nous ? Sommes-nous condamné à circonscrire notre évolution aux limites imposées par notre petite planète ? Avons-nous raté la petite avancée scientifique qui nous aurait permis de nous affranchir de cette bête limite qu’est notre environnement ? Nous pouvons voir les choses ainsi, comme le ferais un auteur de science-fiction : nous avons raté le passage de notre civilisation de type I vers le type II [11]. Ou nous pouvons aussi considérer que le développement d’une civilisation ne se mesure pas au niveau d’intensité de son activité…Quoiqu’il en soit les limites de notre planète nous impose de ralentir et ces différentes lectures ne nous aident pas à trouver des solutions pour imaginer un réel « développement durable », qui pour l’instant demeure un oxymore [12]. Finalement face à inéluctabilité de la décroissance il semble facile de conclure qu’agir ou pas, nous arrivons au même résultat. Alors pourquoi ne pas simplement attendre que la sanction climatique tombe et que le processus se fasse de lui même ? Et bien pour au moins deux raisons. La première est que, si l’on subit le processus sans s’y préparer, la décroissance revêt alors un caractère brutal, injuste et très aléatoire, qui suppose, en le décrivant froidement, un très grand niveau de souffrance humaine. La deuxième raison est que les survivants de ce grand « dégraissage » de l’espèce se verrait alors condamnés à vivre dans un monde bien moins hospitalier sans que rien n’ai été pensé pour qu’ils puissent y subsister et pour que la planète puisse se régénérer. En effet, les scientifique du GIEC nous disent que chaque fraction de degrés de réchauffement évité compte, puisque les boucles de rétroactions ainsi évitées permettent de minimiser les effets du dérèglement et peut être d’éviter que le phénomène ne soit irréversible [13]. En tant qu’individu il s’agit tout simplement d’une question de survie, même s’il est probable qu’en France et plus généralement dans les pays développés, nous puissions pallier plus longtemps aux conséquences du changement climatique, à grand renfort de dépense énergétique.

Prévoir nous-mêmes les conditions de notre décroissance c’est améliorer nos chances de survie comparée à la perspective de voir ce changement s’imposer à nous sans que nous y soyons prêts.

Des changements radicaux seraient donc nécessaires afin que cette décroissance, qui adviendra même en cas d’inaction, ne se fasse pas à nos dépends.

III – Une structure institutionnelle inadaptée


La question de la nécessité de décroître pose directement celle du moyen d’y parvenir. L’impératif étant nouveau pour l’espèce humaine, il semble s’opposer à toute logique d’organisation de la vie en groupe. Même en regardant plus largement, les êtres vivants s’organisent toujours pour se développer au maximum des capacités de leur milieu, puis ce milieu se rappelle à eux pour réguler la population avec des mécanismes extérieurs (prédateurs, maladie, manque de nourriture etc…). Nous fonctionnons de manière identique, à la seule différence que notre intelligence nous a poussé à croire que nous nous étions affranchi de cette limite alors que nous l’avons simplement repoussée. Par ailleurs, en la conscience que nous avons du phénomène nous oblige à observer le désastre en train de se produire, et nous confère, à la fois la culpabilité et la responsabilité angoissante de devoir apporter une solution. Cette solution, c’est la décroissance. Malheureusement nous ne semblons pas être faits pour décroître. En tout cas notre organisation collective apparaît comme incompatible avec cette perspective. Cela est vrai à l’échelle d’un État mais cela l’est tout autant à l’échelle internationale.

 Alors que 25 000 diplomates et 200 scientifiques seront présents à Madrid à partir de lundi, les Etats-Unis, eux, ne se rendront pas à la COP 25.
Photo des dirigeants de la COP 25 à Madrid en décembre 2019. AFP/Pierre-Philippe Marcou

J’ai mis en doute plus haut la capacité des institutions internationales existantes à décider d’action efficaces contre le changement climatique. La raison principale de mes doutes est que si les États ont pu s’accorder sur des règles leur permettant de jouir d’un développement mutuel, il est audacieux de penser qu’ils soient capables de s’accorder sur des règles de décroissance mutuelles. En effet, le modèle étatique est déterminé par le fait que chaque État œuvre pour la préservation de son intérêt, or, qui réduit en premier son activité connaît un double désavantage par rapport à celui qui continue de l’accroître… J’arrive à percevoir ce que pourrait être la coopération internationale dans le cadre de réponses à des effets du changement climatique, car la survie de chaque acteur pourrait en dépendre à court terme et cela ne contreviendrait pas à une logique de développement (prend 10 tonnes de blé, donne-moi 100 000L d’eau potable, accueille 1 million de réfugiés climatiques et je te laisse 1000Ha arables etc…). Ce serait en fait un modèle de développement sous contrainte. Mais la possibilité qu’un État, puisse renoncer à acquérir un avantage comparatif par rapport à son voisin, avec l’objectif d’éviter un problème global, en prenant le risque de s’y retrouver moins bien préparé que ce dernier, me semble pour le moment assez fantasque. Sur la question du climat, les accords internationaux pris en faveur de la réduction de l’émission de gaz à effet de serre, notamment le protocole de Kyoto du 11 décembre 1997, n’ont pas donné de résultats suffisants [14]. Ce alors même que l’accord de Kyoto ne prévoyait pas une réduction de l’activité humaine mais une réduction de ses émissions de CO2. À l’époque, les États se sont mis d’accord et ont pu travailler à la réduction de leurs émissions tout en continuant leur développement, notamment en améliorant leur processus de production et en optimisant la gestion de l’énergie. Il y avait de la marge ! Mais en 2012, il semble que les états ne soient plus si confiants dans leur capacité à réduire leurs émissions, ou en tout cas sans que cela ne crée un désavantage pour eux. Ainsi le protocole de Kyoto a été renouvelé jusqu’en 2020… mais sans la Chine, la Russie, le Canada, le Japon et les USA, laissant seulement 15% des émissions mondiales de CO2 concernées… C’est donc un échec à n’en pas douter. L’accord de Paris du 12 décembre 2015, signé à l’issu de la COP21, et ratifié par quelques 196 Pays, se borne malheureusement à entériner une volonté de principe de rester sous la barre des 2°C moyens de réchauffement… sans aucun aspect contraignant. Déjà très critiqué au lendemain de sa signature [15], cet accord n’a pas su, 4 ans après, mettre en défaut les observateurs l’accusant d’être inutile. On voit bien la limite du mécanisme international. Les relations internationales se font sur la base d’une compétition entre les groupes humains rassemblés sous des formes institutionnalisées, mais ces institutions ne me semblent pas adaptées à considérer une action commune en lien avec un intérêt général, si cette action est de nature à modifier l’équilibre du rapport de force entre les acteurs. Ainsi la volonté politique du texte, reflète bien l’état d’esprit actuel de la communauté internationale qui s’intéresse plus à la préparation et à l’adaptation aux conséquences du changement, plus qu’à la prévention de la catastrophe. Le retrait des États-Unis d’Amérique du traité de Paris a d’ailleurs terminé d’enterrer le texte et la division internationale est plus forte que jamais au moment de passer effectivement à l’action, en témoigne la débâcle de la COP 25 [16].   On constate que les États ne parviennent pas à s’entendre pour agir par crainte du déclassement, en particulier les États qui dominent le rapport de force international et qui sont également ceux qui seront les moins exposés aux conséquences directes du changement climatique, parce qu’ils pourront pallier longtemps à ces conséquences grâce à leur niveau de développement élevé (présence d’infrastructure, haut niveau de qualification, territoires en zone tempérée moins exposés etc…). C’est une injustice car cette domination crée un blocage structurel qui par inaction met en péril des milliards de vies humaines, notamment dans les pays en bas de la chaîne alimentaire internationale.

En conclusion, malgré notre niveau de civilisation en tant qu’espèce, nous ne sommes pas prêts à faire face à un problème tel que le changement climatique. L’implémentation d’une solution suggère la levée de beaucoup trop de verrous pour envisager que nous puissions la mettre en place à temps.

C’est toute notre civilisation qui devrait changer ses bases pour y parvenir, ce qui nous emmène à dire avec pragmatisme que cela se soldera très probablement par un échec.

Devons-nous pour autant ne rien faire ? Certainement pas ! Il nous appartient de créer autour de nous des espaces qui nous protégeront de la dépendance à un système globalisé et qui nous apporteront l’autonomie dans le plus de domaines possibles. Cette autonomie est la seule garante de notre survie et de la préservation de l’environnement naturel autour de nous par notre action directe. C’est aussi l’espoir, en assurant nos besoins primaires de ne pas avoir besoin de nous battre pour les quelques ressources restantes sur cette planète, au détriment des autres, et ce afin que notre système vampirique puisse perdurer encore un instant.


Sources :

[1] https://www.notre-planete.info/terre/climatologie_meteo/changement-climatique-consequences.php

[2] https://www.cepri.net/tl_files/Guides%20CEPRI/Plaquette-sensibilisation.pdf

[3] Un exemple marquant parmi tant d’autres https://www.youtube.com/watch?v=DpnRR-GFQA0

[4] Rapport United in Science en anglais : https://ane4bf-datap1.s3-eu-west-1.amazonaws.com/wmocms/s3fs-public/ckeditor/files/United_in_Science_ReportFINAL_0.pdf?XqiG0yszsU_sx2vOehOWpCOkm9RdC_gN

[5] Voir les explications de Jean-Marc Jancovici sur le sujet de l’énergie. Par exemple à 5 :55 ici https://youtu.be/j48hBShnfB0?t=357

[6] Documentaire sur les exoplanètes qui apporte des éléments de connaissance importants pour comprendre l’impossibilité de s’extraire des limites de notre planète https://www.youtube.com/watch?v=yVtax4z4BEI

[7] Phrase célèbre dérivée des conclusions du « Rapport Meadows » du Club de Rome de 1972. Le voici qui s’exprime 40 ans après https://www.letelegramme.fr/partenaire/developpement-durable/dennis-meadows-nous-n-avons-pas-mis-fin-a-la-croissance-la-nature-va-s-en-charger-30-05-2012-1720620.php

[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/Rien_ne_se_perd,_rien_ne_se_cr%C3%A9e,_tout_se_transforme

[9] Une définition ciblée de l’entropie https://www.dictionnaire-environnement.com/entropie_ID1931.html

[10] https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/physique-fusion-nucleaire-cea-japon-preparent-apres-iter-10020/

[11] L’échelle de Kardachev : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89chelle_de_Kardachev#Type_I

[12] https://www.liberation.fr/terre/2015/08/24/le-developpement-durable-en-echec_1368788

[13] https://usbeketrica.com/article/rapport-du-giec-chaque-dixieme-de-degre-gagne-compte

[14] https://www.geo.fr/environnement/protocole-de-kyoto-enjeux-et-bilan-193595

[15] https://www.lepoint.fr/environnement/cop21-un-immense-succes-diplomatique-mais-un-echec-climatique-13-12-2015-1989602_1927.php

[16] https://www.franceinter.fr/environnement/desastreux-angoissant-du-jamais-vu-l-echec-de-la-cop25-apres-deux-semaines-de-vaines-negociations

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