Première contribution, première fierté, nous vous partageons aujourd’hui le texte d’une amie, qui a été touchée par notre initiative, et a souhaité prendre part à nos réflexions !
Nous laissons donc la parole à Alice, journaliste depuis ses 6 ans, et qui comme nous, souhaite créer un Demain à son image.
« Slow travel », « low tech », « do-it-yourself », « batch cooking »… Mon arrière-grand-mère me regarderait avec des yeux ronds et pourtant elle a vécu ces concepts, bien plus que la plupart d’entre nous : voyages en voiture jusqu’en Suisse (le bout du monde !), réparation du poste de radio de génération en génération, reprisage de 67 paires de chaussettes, et même du « batch cooking » en préparant des litres de soupe le dimanche pour toute la semaine. Alors pourquoi avons-nous besoin d’utiliser des mots anglais pour nous approprier ces concepts ?
Bien sûr, le recyclage, le partage, la réduction des déchets contribuent à l’évolution positive de la société. Mais l’usage de néologismes pour décrire ces concepts revient à faussement les identifier à une innovation. Rien de nouveau derrière le « slow travel », le « low tech », ou la « healthy food » : ces concepts existent depuis bien plus longtemps que ceux à qui ils prétendent s’opposer. En fait, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un retour en arrière, parfois un peu amélioré. Dommage, pas de quoi nourrir nos cerveaux toujours affamés de nouveauté !
Ces néologismes sont aussi là pour que le marketing puisse s’en servir comme outil. Sacré paradoxe de baser une économie vorace sur des concepts qui prônent justement le retour à la simplicité, loin du capitalisme effréné. Certaines entreprises n’hésitent pas à facturer des sommes astronomiques à leurs clients, qui parfois ne sont plus vraiment là parce qu’ils croient au bien-fondé de ces concepts mais plus parce que c’est tendance. Hors de question de payer vingt euros pour un petit-déjeuner traditionnel, par contre pour un « brunch healthy » oui, photo Instagram à l’appui ! Si il est tout à fait normal de payer le juste prix des choses, pourquoi ne le faire que quand le marketing instaure un effet de mode ?
On ne fabrique pas un objet soi-même mais « on fait du do-it-yourself », ou si on est vraiment connaisseur, du « di-aïe-ouaille ». On ne mange pas sainement mais « on se détoxifie avec de la healthy food » – profitons-en pour rappeler qu’il n’existe aucune base scientifique derrière la détoxification que nous vendent les gourous des infusions bio detox. On ne s’inscrit pas à un atelier de création à base d’objets de récupération mais « on fait une session low tech ». Et finalement, le plus gênant, c’est que cette communication est réservée à une frange de la population, une classe sociale élevée qui comprend et emploie l’anglais fréquemment. Quid des personnes qui sont moins à l’aise avec la langue anglaise ? Nous les excluons une fois de plus en employant ces néologismes. Ces modes de vie devraient nous rassembler mais la communication autour de ceux-ci tend plutôt à agrandir le fossé social.
Bien sûr, il y a encore la place pour de nombreuses inventions. Mais nous devons être vigilants à ce que celles-ci s’inscrivent dans une vision à long terme, humaniste et écologique. Et cela commence par éliminer les néologismes anglais qui traduisent notre envie de garder un pied dans cette mondialisation impitoyable.
©️ Alice Lecomte, 2019
Et nous nous ferons une joie d’entériner son propos avec Guillaume Meurice sur France Inter :