voilier coucher de soleil

Petit homme en croûte de sel

Tu mijotes, petit homme en croûte de sel
Tu cuits du puissant feu intérieur qui t’anime
Tu bouillonnes, tu exploses à chaque étincelle
Ton souffle se mélange, au fond de ton abîme,

Comme dans le chaudron de l’apprenti sorcier,
Avec ta passion, ton ignorance et tes rêves
Au gré des degrés1 que tu tiens sans négocier
Tu luttes, minute après minute, sans trêve

Pour des caps trop serrés qui te décapent à l’eau
D’une mer où tu roules, boulet dans la houle,
D’une mer acharnée, que tu finis, pâlot,
Par voir qu’elle est le sang qui dans tes veines coule.

Trop choqué pour choquer2 les voiles de tes yeux
Pour voir de la mer sur ta joue la baffe aller
Tu préfères parcourir la vie, grand niaiseux,
Toutes voiles dehors plutôt que d’affaler

Et tu pousses et tu tires des bords trop carrés3
Des bords qui débordent loin des bords de mer – De
Quel bord es-tu ? Avance, pauvre homme égaré !
Ne passe pas ta vie dans ce vague entre-deux !

Dis-moi, que viens-tu chercher au fond de la mer ?
N’as-tu pas tout trouvé aux sommets de la terre ?
Quel manque as-tu encor, quelle douleur amère,
Pour ôter ton ciré de la calme patère4 ?

Tu cours les cimes blanches d’écume et de neige
Tu trottes sur le globe azur que fait tourner
Sans prêter attention à ton petit manège,
Pour la joie d’un biscuit, l’otarie sur son nez

Grand clown dont on se rit, tu ne manques pas d’erre5 !
Comme un enfant tu te ris des ris6 et des rides
Croquant l’instant pour toi long comme un jour polaire
Tourbillon de vie, effeuillant l’éphéméride7

Arlequin au manteau recouvert de faveurs8
Virevoltant dans l’air d’on ne sait quelle amure9
Confiant tu maintiens l’écoute10 avec ferveur
fiant l’inconnu, tu files à toute allure11

Dans la mer sans horizon sondant les écueils
Au pied des cardinales12 de ta vie, têtu
Dont l’âme ère sans raison jusqu’à son cercueil
Réponds-moi maintenant : en fait, que cherches-tu ?

« je ne sais pas ce que je cherches à dire vrai
mais Tempête, je te préfère au calme plat,
Danse intense, une stance, un instant, je vivrai
Comme une fragile construction de Kapla.

Plutôt que ressembler à un vieux lampadaire
Éclairant maigrement de son halo blafard
De tous ceux qui trop tôt vont bosser, la misère
Ou de ceux qui, perdus, errent jusqu’à trop tard

Je fais le doux vœu d’être une étoile filante
Qui illuminera les beaux yeux des enfants
De mille éclats de rêve aussi ébouriffants

Qu’une fraîche13 du large bien revigorante
Soufflant sur les tisons d’un feu universel
Faisant naître un humain sous la croûte de sel »

Le 19 octobre 2019, Grenoble
© Théophile Bellintani


Terminologie

A-t-on besoin d’expliciter un poème ? Parfois, et c’est le cas ici, sans quelques pistes, il est difficile de saisir la totalité des sens des mots. Dans ce poème, le vocabulaire marin se mélange à la langue courante, se joue d’elle, donne des ouvertures parallèles… Encore faut-il connaître ce vocabulaire !
Allez on est sympa, on a pensé à vous ! 😉

1 Degrés et minutes : trigonométrie ou recette de cuisine ?
2 Choquer les voiles : détendre la voilure en relâchant les écoutes
3 Tirer des bords carrés : tirer des bords veut dire zigzaguer pour avancer face au vent (comme un sentier qui fait des lacets en montagne dans une pente trop raide pour aller tout droit). Tirer des bords carrés signifie ne pas avancer vers son but ( on tire toujours des bords, mais ils se superposent, on fait du sur-place).
4 Patère : porte-manteau fixé au mur
5 L’erre : la vitesse. Un bateau sans erre est un bateau qui n’avance pas.
6 Les ris : prendre des ris signifie réduire la voilure (notamment par vent fort).
7 L’éphéméride : calendrier duquel on arrache une feuille par jour
8 Faveurs : en terme nautique, les faveurs sont des bouts de laine fixés sur les voiles, permettant d’indiquer l’écoulement du vent, et ainsi de savoir si les voiles sont bien réglées.
9 Amure : d’où vient de vent dans les voiles. Par exemple, tribord amure veut dire que le vent gonfle les voiles par la droite.
10 Écoute : nom du bout qui sert à border (tendre) une voile.
11 Allure : une allure est une position du bateau par rapport au vent. Par exemple, avoir le vent qui vient d’en face à 13h, on va dire qu’on est au près, à 15h, on est de travers, à 17h, grand largue.
12 Cardinale : Les bouées cardinales sont des indicateurs flottants, indiquant par quelle direction contourner un obstacle. Une cardinale Nord indique qu’il y a un danger au sud.
13 fraîche : Faible vent de terre ou du large, qui souffle le matin ou le soir d’une façon à peu près périodique.

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