Peut-on encore partir à l’aventure aujourd’hui, alors que toutes les routes sont tracées, que le moindre recoin du monde est observé par satellite ? Y a-t-il encore quelque chose à trouver en voyage ?
Nous sommes jeunes et pourtant nous en avons marre d’user nos corps et nos esprits à l’inaction. De nous endormir, dociles, face à des tâches répétitives et absurdes. Pour le bien commun ? Pour le sacrifice nécessaire ? Pour la conservation du titre, comme disait Léo Ferré ? Non, pour rien !
Il faut le dire, à l’heure des « bullshit jobs », beaucoup d’entre nous ne servent strictement à rien. Ce n’est pas que les gens n’ont pas la volonté de bien faire, mais le système en place ne permet pas à tout le monde d’avoir un rôle utile. Par utile, j’entends bien sûr : qui sert un intérêt sociétal autre que la fructification des capitaux.
Cependant il s’avère que dans notre système économique, on invente même des postes qui ne sont pas réellement utiles au fonctionnement de l’entreprise ! Alors imaginez l’utilité pour la société… Ainsi notre capitalisme financiarisé contemporain préfère de loin les rôles inutiles que les initiatives qui irait à l’encontre du « business as usual », notamment celles qui portent des revendications sociales et environnementales. Ce qu’il y a de surprenant c’est l’absence totale de perspective, pour changer cet état de fait. Nous n’avons pour l’heure aucune direction civilisationnelle qui permettrait de remobiliser tout le monde. L’économie mondiale approche d’un plateau et d’une décroissance forcée, lié à la raréfaction des ressources et des énergies que ni la technique ni les stratagèmes risquent de pouvoir dépasser. Par ailleurs, la plupart des dirigeants ont renoncé à s’emparer de la question. Que ce soit pour régler le problème ou pour préparer l’après catastrophe d’ailleurs… Pauvre Greta Thunberg, que ces derniers auront préféré humilier plutôt que d’entendre son cri du cœur, notre cri.
Une perspective peu réjouissante mais qui est en partie libératrice : se contenter d’un rôle offert dans ce système, n’aide pas la société à avancer.
Il faut trouver autre chose !
Dans un monde qui se meurt et qui ne choisit plus de direction, choisissons-en une et tenons la barre ferme.
Nous embarquerons donc sur l’Anchornoir, un voilier Mistral SA modèle Sirocco 31 de 1971 et partirons explorer notre monde.
Le monde dans lequel nous vivons bien sûr, mais aussi le monde dans lequel nous voudrions vivre.
« Le cosmos est mon campement », nous a soufflé Alain Damasio avec beaucoup de talent, et nous comptons bien planter la tente. Nous aspirons à la liberté la plus totale, la plus organique, la plus vertigineuse ! Nous n’avons pas honte d’affirmer cela. Pour nous, jouir de notre liberté est vital et nous ne nous satisfaisons pas de la liberté de posséder que l’on nous propose de conquérir tout au long de notre existence. Celle-ci apporte un confort, un cocon dans lequel il est doux de se laisser aller, certes, mais au risque de couler, de disparaitre. Ainsi nous ne nous satisfaisons pas de cette formule qui nous laisse spectateurs de nos existences et de ce qui forme nos vies en société. Nous voulons une liberté politique ! Et nous la voulons pour tous !
Mais comment prendre cette liberté et en faire quelque chose ? Comment sortir de l’hypothétique ? Suis-je libre parce que potentiellement je pourrais faire telle ou telle chose ? Non ! Je ne suis pas libre dans l’hypothétique. La liberté est un combat de chaque instant et lorsqu’on ne s’en saisit pas, elle fond comme neige au soleil.
Ainsi j’essaye d’être honnête avec moi-même : si je n’ai pas le temps de faire quelque chose, je ne suis pas libre de le faire. Si je n’ai pas d’argent pour faire quelque chose, je ne suis pas libre de le faire. Si je n’ai pas d’alternative dans mes choix, alors je ne suis pas libre de ces choix.
Il nous appartient de chercher ou non à braver ces limites, afin que les conditions matérielles d’exercice de la liberté ne soient plus la condition sine qua non de l’existence même de cette liberté.
Mais où se trouve la limite ? Au nom de la liberté absolue, devons-nous refuser toute forme de limitation ? Nous aimerions apporter un autre éclaircissement qui est essentiel pour comprendre notre propos : si l’environnement naturel, dans lequel nous vivons tous, est impacté par nos actes, de sorte qu’il s’en trouve dégradé, alors nous devons trouver là une limite à notre liberté.
À notre avis, les limites sociétales ne sont pas des limites aussi légitimes à la liberté des êtres humains que les limites imposées par notre environnement et par sa préservation.
Comment alors se saisir de notre liberté, tout en respectant les limites que nous impose notre environnement naturel ?
Nous n’avons pas la prétention de dire que la voie que nous avons choisie est la seule, nous avons même encore à vérifier si celle-ci respecte effectivement cette philosophie. Le voilier sera donc le support de nos réflexions sur le sujet, dans tous les sens du terme.
Le voilier est un symbole de cette pensée, le voyage également.
Le voyage car réussir à partir, est déjà une victoire contre les limites qui sont les nôtres : trouver le temps et les moyens matériels d’un tel projet, implique en effet un investissement énorme, et ce alors même que nous sommes célibataires, sans enfants ni personne à charge, sans obligations personnelles et en bonne santé…
Le voilier comme moyen de transport est le symbole de la direction que nous voudrions voir prendre notre monde. Il reflète à la fois notre dépendance à la nature pour survivre et pour avancer en tant qu’espèce, mais il est aussi le témoin d’une avancée technique de l’humanité, qui allait dans le sens d’une collaboration avec la nature. L’exploitation d’une ressource réellement inépuisable, convertie directement en énergie cinétique. L’ouverture de la possibilité grandiose de découvrir la planète entière à l’échelle d’une vie humaine sans impacter l’environnement trop lourdement. Un plus sans un moins.
C’est cette direction qui devrait guider aujourd’hui notre espèce, celle de la collaboration avec la nature. En effet, à part quelques attaques d’hippopotames à la marge, nous avons ôté tout son potentiel de dangerosité à notre environnement. Pour autant, nous continuons de le traiter en adversaire qu’il faudrait dominer. En conséquence, notre prédation entraine peu à peu son affaiblissement, si bien que sa destruction est programmée. Dès lors, il nous appartient en tant qu’espèce, de prendre acte de notre interdépendance avec cet environnement et de diriger nos efforts à la création de schémas pérennes dans notre mode de développement.
J’ignore la paternité de cette métaphore mais elle est aujourd’hui bien connue : la Terre est notre vaisseau commun. Elle est le berceau de notre seul environnement viable, dans un univers inhospitalier et en tout point indifférent à notre survie. Absolument personne d’autre que nous n’est concerné par notre disparition probable. En cela il y a quelque chose de rassurant.
Nous aspirons donc à la liberté, oui, mais nous aspirons aussi au respect du vivant et de toutes choses ayant un rôle dans l’équilibre fragile de notre monde. Nous rêvons d’harmonie. Serons-nous capables de la faire raisonner au travers de ce projet ?
Nous sommes intimement convaincus que la liberté se trouve au fond de nous-même, qu’il n’est pas nécessaire de partir au bout du monde pour se saisir de celle-ci. Nous aurions pu vous en parler autour d’un verre dans notre canapé, mais nous avions envie de faire passer ce message à travers un projet qui en serait le symbole. Il ne s’agit nullement d’y trouver une quelconque légitimité, seulement de vous emmener hors de votre salon, même pour quelques minutes. Nous ne voulions pas faire de ce voyage la vitrine d’un mode de vie, d’une pensée ou même pire, de faire la publicité d’un objet qui serait le voilier.
Nous avons pensé ce voyage de manière très personnelle, si bien qu’à l’heure de le rendre public nous sommes tombés dans une double difficulté : Comment aborder les thèmes qui nous tiennent à cœur et poser les bases d’une réflexion saine pour nos lecteurs ? Comment le faire sans recourir à des mécanismes de communication classique, ou le propos est prémâché ? Finalement, comment emmener nos lecteurs à vraiment se mobiliser intellectuellement, sans que la tâche leur paraisse trop fastidieuse et qu’ils passent sans s’arrêter ? Car notre rêve est avant tout de vous emmener avec nous dans cette réflexion. Nous voulons vous donner envie de vous saisir de ce débat sur la liberté, mais aussi sur l’environnement naturel, et le monde dans lequel nous vivons. Nous parlerons bien sûr de nos avis sur le sujet mais nous voulons vous laisser assez d’espace pour que vous vous sentiez l’envie de réfléchir, sur votre conception de la liberté, sur votre capacité à en faire usage, et sur les limites qui s’imposent à vous. Nous vous sommons dès lors, d’être en désaccord avec nous aussi souvent que ça vous chante. Tant que cela vient de votre réflexion propre ! Vous pouvez d’ailleurs être en désaccord avec cette sommation ! Ne vous laissez pas donner d’ordre voyons ! Haha !
L’aventure, c’est moins un chemin qu’une personne qui le parcours. Autant dire qu’il s’agit d’une ressource abondante ! Et renouvelable….
Finalement, la découverte sera toujours possible puisqu’en voyage, l’aventure est en nous.