Cet article est la suite de Et Dieu dans tout ça ?
« Je ne peux pas agir au niveau politique sinon par le vote (sans illusion, le réel pouvoir n’est plus politique mais financier et encore plus « big data ») Il me reste agir autour dans mon cercle proche, au jour le jour concrètement en essayant de faire évoluer le cœur de nos frères et sœurs. »
C’est un discours que j’entends souvent, et pourtant je ne suis pas encore convaincu du bien-fondé de cette réduction d’action. Je parle là d’un ressenti personnel, je ne remets pas en question votre propre conclusion, je dis que moi, je ne suis pas encore prêt à « abandonner » la globalité, aussi bouchée que semble la voie…
D’un côté, dans l’idée d’un travail sur soi, en profondeur, comme nous en étions arrivés à conclure dans l’article précédent, cela est évidemment important de travailler à l’échelle de Soi. Mais faut-il s’en contenter ?
Comment, face à un monstre d’échelle mondiale, une hydre multinationale, une chimère composée du marché global, pouvons-nous sérieusement penser qu’agir à l’échelle locale puisse vraiment avoir un impact ? Comment pouvons-nous nous dire que se concentrer sur ce que nous « pouvons » faire suffira pour arrêter la machine infernale ? Croyons-nous vraiment que ces actions dans nos cercles proches empêcheront le monde à continuer à nous imposer ses règles ? Qu’on pourra s’exclure en toute impunité de la marche globale ?
Je n’y crois pas. Tout nous montre que le capitalisme ne laisse aucune marge, aucune tranquillité à ceux qui propose des alternatives qui se passent de lui pour avancer. C’est un rouleau compresseur, un trou noir qui absorbe tout ce qui lui fait face, qui l’intègre, c’est un mouvement continuel qui se transforme en fonction des oppositions qu’il reçoit. C’est un somnifère en perpétuelle amélioration pour toutes les forces qui veulent s’y confronter. C’est un néant qui nous sépare et dans lequel on se perd dès qu’on veut s’assembler, se retrouver, et construire autre chose. Il ne nous laissera jamais tranquille. Sa survie vient du fait qu’il maîtrise tout. Dès que quelque chose lui échappe, il est en danger. Si on est capable de faire sans lui, il est en danger. Et la répression qui s’ensuit est d’une violence innommable, dans le seul but d’assurer sa suprématie. Il suffit de regarder comment des ZAD – ces lieux où l’ont réinvente d’autres manières de vivre – sont détruites avec violence par les forces de l’ordre, comment Greta Thunberg se fait maltraiter par les médias, comment son image est dénaturée et détruite dans l’opinion publique, comment on ne porte aucun intérêt au fond de son message. Il suffit de voir que les lois sont faites pour développer le profit de quelques uns, sens penser à une économie locale, comment les traités transatlantiques, lorsqu’ils sont refusés par le peuple lors de référendums, sont alors imposés sans discussion possible juste après par le choix de quelques élus politiques. Comment le système des retraites qui fonctionnait bien et permettait à chacun d’y prétendre se retrouve vendu à une boite privée qui n’a que faire des petites gens et de leurs histoires personnelles.
Pour autant, je suis coincé. Quelle action puis-je imaginer, proposer, qui soit à la hauteur de ce qu’il y a à combattre ? Je ne suis personne, et même à pleins, nous restons insignifiants face à un seul des puissants de ce monde. J’ai comme la sensation de me débattre dans une toile d’araignée, je bouge dans tous les sens, je fais des actions, monte des projets, m’investis dans des réseaux, essaie d’œuvrer pour des causes qui me semblent importantes, fais des dons à pleins d’associations qui travaillent d’arrache-pied pour l’environnement et les droits sociaux… Et puis quoi ? Je m’épuise. La conclusion est que dans la toile d’araignée, tu es libre de tes mouvements, mais tu ne vas nulle part. Tu es collé sur place. Et plus tu gigotes, plus tu t’encolles.
Pourtant, elle a des points de faiblesse, cette toile. Si on cherche à couper chaque intersection, bien sûr que c’est inefficace, l’araignée à le temps de construire dix fois plus de nœuds que nous n’en couperions ! Mais aux bords de la toile… Il n’y a que peu de fils qui la relient à ses supports. Une dizaine, une vingtaine tout au plus. Quelles sont donc les actions qui permettraient de tailler directement ces piliers de la toile ? Ces fils porteurs ?
Et si nous ne pouvions rien faire ?
Mais voilà. Le covid-19 arrive et m’apporte d’autres réflexions. Je me rends compte que lui arrive à tout stopper, à imposer au monde entier, à la terre entière, rendez-vous compte ! – un arrêt quasi total. Et d’un coup, je perds pied.
Je crois que, plus encore que me battre contre un système pourri, au fond de moi, je cherchais autre chose : la fierté de pouvoir dire que l’espèce humaine n’a pas attendu que la voiture s’écrase dans le mur pour changer de direction.
Mon combat, c’est la dignité. J’aimerais tant pouvoir dire aux générations futures que nous avons été capables de changer. Nous sommes capables, en tant qu’espèce, et plus seulement individus, de prendre des décisions globales, pour un avenir commun. Que nous sommes capables d’abandonner nos petits profits individuels pour se consacrer à l’ensemble. Que nous n’avons pas perdu la notion du travail d’intérêt général. Que nous sommes capables de remettre les points sur les « i » quand ça dérape. Que nous sommes capables d’attraper les responsables, les quelques uns qui dansent, là-haut sur leur plateau d’argent, que nous sommes capables de sortir des engrenages, de la toile d’araignée. Que nous en sommes capables, et que nous le faisons !
Mais je suis bien obligé d’admettre, petit à petit, qu’il n’en est pas ainsi.
Tous les jours sur la terre des gens manifestent, montrent leur indignation, lancent des initiatives, se battent pour proposer un autre avenir, meurent même, parfois, pour ces idéaux, publient des études sérieuses démontrant l’état du monde, l’urgence de changer de mode de fonctionnement, tous les jours. Depuis 50 ans.
Moi j’arrive, en 2020, je vois tous ces efforts, et je pleure. Rien n’a changé.
Je refuse de me résoudre à laisser le sort décider pour nous. Une amie me disait « Ce ne sont pas nos actions qui arrêteront le système, ce sont des catastrophes comme le covid-19. Il y en aura d’autres, autant qu’il faudra, nous, nous devons penser à l’Après. Et surtout, être heureux dans ce qu’on vit. »
J’avoue que c’est tentant. Ne pas se charger de la responsabilité de la destitution du système, et ne se consacrer qu’à construire le monde que nous souhaitons pour Demain. En d’autres termes, lâcher le global, et se recentrer sur soi, ses proches, sa localité. Penser à son bonheur, car c’est être heureux dans ce que nous vivons qui donnera envie à d’autres de vivre pareillement. Laisser tout ce qui est hors de notre portée hors de notre portée. Ne plus s’épuiser à se battre contre des chimères qui sont protégées par l’ordre établi.
Je ne sais pas pour vous, mais moi, en pensant comme ça, j’ai un goût métallique de défaite dans la bouche. Parce qu’abandonner, c’est leur donner carte blanche. Si chacun ne s’occupe que de soi et de ses proches, qui ira mettre un stop à l’entreprise qui force la main d’un état pour vendre des produits nocifs pour l’environnement malgré un premier refus des institutions ? (un exemple ici) Qui lancera l’alerte quand quelqu’un abusera des autres sournoisement ?
Rappelons-nous, contre quoi nous battons-nous exactement ? Ce serait simple si nous pouvions identifier clairement un ennemi. Dire « tel peuple », comme autrefois, ou dire « les machines », ou « les riches »… Mais ce n’est rien de tout cela.
Nous ne nous battons pas contre la technologie. Elle a apporté pleins de choses positives, au milieux de quantités de trucs inutiles bien sûr, mais sachons faire la part des choses. Puisque nous parlions de religion dans le précédent article, et que Dieu n’est plus là pour nous assister, sachons séparer le blé de l’ivraie !
Nous ne nous battons pas contre un peuple, ni même contre une classe sociale. Je sais que c’est facile de penser comme ça, de dire que ce sont les riches qui nous entraînent dans le capitalisme, que ce sont les traders qui nous entraînent dans la spéculation, …
Non, soyons honnêtes : ce contre quoi nous nous battons aujourd’hui, ce qui nous fait le plus peur, c’est nous-mêmes. Nous nous battons contre une partie de nous-même. C’est un combat intérieur permanent. Si le trader à du pouvoir sur nous, c’est parce que nous lui donnons de la place, parce que nous l’autorisons à exister, et qui sait, peut-être même que nous l’encourageons, qu’il nous fait envie ! Si le riche nous semble l’ennemi, ce n’est pas sa richesse le problème, c’est qu’à peine éliminé, un autre riche prendra sa place, puis un autre encore, et qui sait ? Peut-être nous-même ? Il en va de même avec le pouvoir ! Si nous avions le hasard de recevoir demain entre nos mains le pouvoir de trancher le nœud Gordien entre valoriser le développement de la technologie dans l’espoir de trouver encore une solution ou préférer un ralentissement forcé pour limiter les dégâts, si cette décision retombait entièrement et uniquement entre nos deux mains, ne serions-nous pas tentés de prendre la décision, seul, pour l’humanité ? Si nous avions ce pouvoir, serions-nous capable de nous retirer pour laisser la place du choix à l’ensemble, et non à l’individu ? (petite dédicace à Deus Ex…)
Alors voilà. Il y a deux combats parallèles. Faire tomber l’habitude d’un système en place, briser la routine, permettre à tous et à toutes de se poser ces questions, et surtout, empêcher que quelques uns s’approprient les manettes. Et le second combat, qui est d’apprendre, en chacun de nous, que nous ne sommes plus des maîtres du monde. Nous devons individuellement se rééduquer à une autre manière d’être, sans quoi changer le système ne servira à rien. Si après un effondrement, nous reconstruisons à l’identique parce que nous n’avons pas travaillé notre rapport au monde, à l’autre, à la vie, c’est peine perdue.
Quelle conclusion peut-on tirer de tout cela ?
Tout d’abord que l’effondrement global est nécessaire pour un après. Comme je le dis plus haut, le capitalisme mondialisé ne laisse pas la place à un « autre chose » en parallèle : du moment qu’il se sent menacé, il cherche à faire disparaître le danger. Mais cet effondrement ne fait pas tout.
Ensuite L’action au local, celle que je déments un peu, est essentielle. Car c’est là que naissent deux choses nécessaires à la création d’un autre Demain que la reconstruction fac simile : la rééducation personnelle, et l’espoir, l’envie d’un autrement.
Enfin, que l’un ne va pas sans l’autre, et que s’il faut de la douceur et du temps pour apprendre à être autrement en tant qu’individu, Il est nécessaire d’agir vite et totalement (sans demie-mesure) à l’échelle globale, pour empêcher à l’araignée d’étendre ou de renforcer sa toile. Viendra le temps où nous ferons des propositions.